
- Cet ouvrage a été rédigé par Anne-Sophie Molinié, maître de conférences à l'université Paris Sorbonne Paris IV, et membre du Centre André Chastel.
Préface de Christian Vieaux, inspecteur général de l'Éducation nationale en charge des arts plastiques
« Si l’on évoque la relation de l’œuvre au lieu, viennent spontanément à l’esprit nombre de références ou de gestes majoritairement contemporains, dont beaucoup paraissent s’ancrer résolument dans la notion d’in situ ou encore plus communément d’installation. Pourtant, les questions qu’elle pose sont de plus grande antériorité et s’incluent aussi dans l’histoire de la peinture murale. Plus précisément, la concernant — en suivant le fil d’un récit chronologique ou thématique — on repérera aisément diverses catégories, des esthétiques, des périodes, des usages. Ainsi, des programmes iconographiques sacrés ou profanes, la progression des techniques et le prestige des ateliers, la circulation des styles et des théories, des politiques servies par l’édification d’architectures civiles et religieuses, le brio du trompe-l’œil triomphant ou les décors raffinés de l’intimité des palais… nous éclairent de la puissance accordée aux images dans l’espace public et privé. En l’occurrence, leur pouvoir à magnifier des élites ou incarner des convictions collectives, à exprimer des codes culturels et des sensibilités, à témoigner du réel ou de croyances. Pour autant, la question même des dialogues entre les espaces picturaux et architecturaux ne doit pas être délaissée. Elle engage une autre histoire : celle du spectateur qui — dans de tels dispositifs — est interpellé au-delà de l’exercice de son regard. Seul, ou dans des partages avec d’autres, c’est aussi son déplacement, donc son corps, et ses sensations qui sont sollicités en autant de séquences visuelles, spatiales, temporelles qui lui sont imposées ou qu’il a le loisir de déterminer.
Être attentif aux fresques de Véronèse à la villa Barbaro à Maser permet, bien évidemment, de rencontrer un des plus grands peintres vénitiens du XVIe siècle. Et, de la sorte, on prendra la mesure d’un artiste qui, en son temps s’est donné les moyens techniques, culturels et philosophiques de développer sa propre esthétique et de l’interroger. Mais le choix de cet ensemble décoratif si particulier, dans une villa palladienne emblématique, porte d’autres ambitions. Il donne en premier lieu l’opportunité d’étudier, dans ce contexte géographique, culturel et politique précis, par quels moyens plastiques et à quelles fins l’artiste a joué d’une certaine réciprocité des regards entre le spectateur et les protagonistes des scènes qu’il peint, d’illusions entre des espaces réels et fictifs, des possibilités de vivre des séquences visuelles et de s’inventer un parcours. En outre, il ouvre sur les modalités même du travail de l’artiste. Notamment, les collaborations techniques dont il devait s’entourer pour tenir une réalisation d’une telle ampleur, la compréhension de la prise en compte des qualités architecturales du bâti — conçu par l’un des plus grands architectes du temps et aux savoirs théoriques reconnus —, la définition du projet avec les maîtres des lieux — commanditaires prestigieux et éclairés.
La visée d’une telle étude de cas, dans le cadre d’une question limitative du baccalauréat pour l’option facultative d’arts plastiques, porte donc au-delà d’une initiation à l’historicité de l’art de la peinture murale. Elle aspire à ancrer, dans des pratiques contemporaines et de plus lointaines histoires, la compréhension de quelques problématiques essentielles de la relation de l’œuvre aux espaces de présentation. Elle est une invitation à faire découvrir et interpréter aux élèves, forts des enseignements tirés de Véronèse, d’autres productions comparables d’époques et d’artistes divers. »