
Journées d'études organisées par Laurent Châtel, CECILLE ULR 4074 et Hervé Brunon, CNRS, Centre André-Chastel
Le point de départ tient dans l’observation suivant laquelle, depuis plusieurs années, l’étude des jardins et du paysage connaît un certain « tournant environnemental », qui semble constituer à première vue une illustration du « tournant écologique » ayant infléchi presque l’ensemble des sciences humaines et sociales. Illustration cependant paradoxale dans le cas d’objets ou plutôt de lieux possédant fondamentalement une dimension environnementale : il semblerait, en effet, que les approches des jardins et du paysage aient en grande partie négligé, jusqu’à une date somme toute récente, cette dernière dimension.
Comment l’histoire des jardins aurait-elle pu être dénaturalisée et en cela dénaturée ? Une explication simple vient du fait que la mise en valeur de la spécificité aussi bien des jardins que du paysage a nécessité de les concevoir en fonction de processus d’artialisation ayant un caractère anti-naturaliste, comme l’ont montré les postures philosophiques d’Alain Roger, de Baldine Saint Girons et d’Augustin Berque. Julien Delord le soulignait déjà en 2016 : « D’une tradition anti-naturaliste assumée, nous proposons que la philosophie du paysage en France emprunte une piste de naturalisation des appréciations esthétiques pour effectuer sa mue écologique. Elle devra en particulier s’ouvrir à toutes les dimensions du ‘sauvage’ ».1 Cette affinité entre jardins, paysage et artialisation a été renforcée par le fait même que, du point de vue épistémologique, l’histoire des jardins s’est longtemps écrite sous l’égide de l’histoire de l’art. C’est, en quelques sorte, sous son aile protectrice que l’histoire des jardins s’est consolidée et a acquis sa scientificité. Cette dépendance disciplinaire l’a cependant rendue en quelque sorte prisonnière d’une pensée du design, de l’intention et de la fabrique - une pensée avant tout artistique – au détriment d’une pensée de la réception, de l’expérience et de l’immersion. Or les jardins transcendent la question du design : ils sont bien plus qu’un art et plus qu’une technique. Les travaux d’Hervé Brunon et de Monique Mosser sur la dimension holistique du jardin constituent un véritable garde-fou pour nous inciter à penser le jardin dans toutes ses dimensions.
Qu’attendre alors du tournant environnemental que nous voyons s’esquisser, à travers par exemple les travaux de Grégory Quenet sur Versailles ou de Mark Laird sur les jardins en Angleterre ? Nous proposons d’introduire la notion d’attention environnementale, en tant que posture épistémique mais aussi affective, renvoyant aux idées écologiques de milieu, d’habitat, de biodiversité et de vivant. L’un des intérêts d’une pensée des jardins et du paysage à l’aune de l’attention environnementale est de dépasser la peur d’une « fin du paysage » – pour reprendre les termes en 1972 de Bernard Charbonneau2 –, ou d’une « mort du paysage » – pour faire l’écho aux interrogations de François Dagognet, et al. En 19823 – afin de réintroduire un principe d’espérance en faisant du paysage un agent à part entière sinon de la transition écologique du moins de notre durabilité (« sustainability »). Ainsi, en guise de bilan, si d’aucuns sont convaincus que le paysage n’est plus une notion pertinente de nos jours, nous pourrions peut-être tenter de soulever la question d’une ère post-paysage, d’un après-paysage, « et après ? le paysage est-il encore de l’ordre du possible ? » / « and so what now, which landscape is still possible ? ». À quoi il faudrait répondre que le paysage embrasse, de manière holistique, les questions d’aménagement du territoire, de design, de style et d’art, mais aussi d’expérience, d’habitat, et de (sur)vie. Tels sont les enjeux qui animeront cette rencontre faisant suite aux journées organisées en juin 2023 sur Le paysage entre matière et esprit, culture matérielle et culture immatérielle.
Laurent Châtel, UDL, CECILLE ULR 4074 et Hervé Brunon, Centre André-Chastel
Déroulé de la journée du 12 juin
Université de Lille, Maison de la Recherche
- 10h Laurent Châtel, UDL, CECILLE et Hervé Brunon, CNRS, Centre André-Chastel
Introduction - 10h15 Émilie Beck Saiello, Université Sorbonne Paris Nord
Paysages : ciels et climats - 11h Marie Hérault, Sorbonne Université, Centre André-Chastel
L'imaginaire du paysage de la Riviera, XVIIIe-XIXe siècles - 11h45 Serge Briffaud, ENSAP-Bordeaux
La face cachée du paysage réunionnais. Construire une alternative environnementale en contexte postcolonial - 12h30-13h30 Pause
- 13h30 Michael Jakob, Accademia di Architettura Mendrisio (USI)
Le paysage : un phénomène éphémère ? (en distanciel) - 14h15 Odile De Bruyn, Bruxelles
Les jardins des élites malinoises au XVIe-début XVIIe siècle : paysage urbain et réseaux d’échanges de plantes - 15h Stéphanie de Courtois, ENSA-Versailles
Restauration historique des jardins, patrimonialisation du paysage et agenda environnemental - 15h45 Pause
- 16h Eugénie Denarnaud, ENSP-Marseille, LAREP
Paysages de la globalisation, du jardin aux pratiques éco-environnementales - 16h45 Mirabelle Croizier, ENSA-Paris-Belleville
Jardins historiques en projets : jardiner l’histoire ? Savoirs indisciplinés et projet de paysage - 17h30 Alejandro León Cannock, Institut de la Photographie, Lille / Aix-Marseille université, LESA
Paysages par extraction. Enquête iconographique sur les territoires du Sud global : le cas de l’Amérique latine - 18h Discussion finale et conclusions
13 juin 2025 • Visite du Louvre-Lens et des terrils de Loos-en- Gohelle avec Véronique Skorupinski, les intervenant·es et les étudiant·e·s.
- 1Julien Delors, « Pour une esthétique écologique du paysage », Nouvelle revue d’Esthétique, n° 17 (2016), p. 43.
- 2Maurice BARDET et Bernard CHARBONNEAU. La Fin du Paysage. Paris, Éd. Anthropos, 1972.
- 3François François Dagognet (dir.), Mort du Paysage ? Philosophie et esthétique du Paysage, Seyssel, Champ Vallon, 1982.